Cas clinique 1


Photo de Mike Fox (Unsplash)
Photo de Mike Fox (Unsplash)

Voici un résumé d'un cas clinique réalisé dans une  structure EHPAD / printemps 2018 (Rhône)


(…) Aux « Tourterelles* », il faut être attentif aux gestes et aux attitudes. Ces nouveaux résidents peuvent partir en tempête pour la moindre frustration. Dans leur installation, il manque toujours quelque chose : une prise ou un câble alors il faut écrire sur un carnet que cette chose a été demandée et qu’on s’en occupe.  Au début, les résidents ont testé les limites de l’espace qu’il leur est attribué et les limites de la patience de chacun des intervenants. Certains déambulaient de leur terrasse à l’unité voisine. Les espaces temps aussi leur sont difficilement repérables, il faut mettre une pendule dans chaque chambre. Certains demandent très souvent : « Qu’elle heure est-il ? » Les repas et le goûter ont pris toute l’importance pour rythmer leur journée.

 

L’atelier commence à 10 h 30. Cet atelier hebdomadaire est un espace de création où différents processus sont en jeu. On peut y observer des mouvements de va et vient entre processus groupaux et individuels. Les moments de début et de fin de séance répondent à un véritable rituel groupal.

 

A l’arrivée des résidents dans la salle de l’atelier, nous donnons à chacun un tablier et les aidons à l’attacher. Chacun rejoint sa place. Car chacun a vraiment SA place, comme si chacun avait définit son territoire. Il serait perturbant de changer les habitudes. Mme Renard* et Mme Lièvre* ont tout de même besoin que nous les accompagnions et les aidions à trouver réponse à une bonne ergonomie. La distance du bras, la hauteur de la feuille, sont les choses à régler avec attention. Les deux femmes sont toujours l’une à côté de l’autre, assises face à leur chevalet de sorte qu’elles ne peuvent pas voir ce que fait la voisine sans avoir à se mouvoir.

 

Il nous faut du temps pour installer chaque participant dans le respect d’une bonne ergonomie. Mr Hérisson* ne doit pas être trop éloigné de la porte car il va faire ses aller-venues. Mr Mulot* a sa place avec sa boite de feutres. Son graphisme est une sorte d’écriture. Il commence par le bord extérieur de sa feuille pour finir au centre. Il est totalement absorbé par sa production, il ne regarde pas ce qui se passe autour, il est dans sa bulle, hypnotisé par son geste, hors du temps. Cependant il est attentif à la musique et donne ses appréciations à ce sujet.  

 


Pour les autres, nous préparons des palettes de gouaches avec les couleurs primaires. Lorsque chacun est assis, bien installé, avec les matières et outils dont il a l’habitude.  Ils vont entrer dans leur espace de création dans un espace qui leur est propre et individuel. Chacun est devant sa feuille, devant l’expression de ce qui lui est propre. Le silence s’établit et ils se laissent porter et bercer par la musique.

 

Mr Hérisson écrit un texte au feutre qui commence toujours par « Ma femme est la plus belle du monde… » L’écriture correspond à ce qu’il y a de plus archaïque chez lui. Pour essayer de nouvelles choses, nous lui mettons à disposition de la peinture et un pinceau. Il fait des astres mortifères.

 

La musique classique semble la mieux appropriée, la plus adéquate.  Elle constitue une enveloppe sonore rassurante. La musique dans cet atelier sert de médiation, outre l’aspect de relaxation, il s’agit d’un prétexte à la communication, à l’échange. L’art-thérapeute favorise l’acte de communication.

Les résidents verbalisent ce qu’ils en ont ressenti pendant la séance et nous leur demandons ce qu’ils aimeraient comme musique pour la prochaine séance.

 

Un cadre est posé pour que la créativité puisse s’exprimer. Aucun objectif n’est fixé. Il n’y a pas de jugement de valeur.

Mr Hibou et Mr Mulot n’ont pas de mal à se lancer dans leur production. Mr Mulot, d’une semaine à l’autre, réfléchit à trouver un modèle. Il dessine inlassablement des chats. Il commence toujours au crayon et d’une ligne sans gomme, il trace les lignes d’un chat. Il vient de finir deux chats qui se faisaient des câlins ? Puis pour le muguet deux chats assis l’un à côté de l’autre qui voit le muguet défiler.

Mme Renard a toujours besoin d’être rassurée. La feuille blanche lui fait un peu peur. Elle dit : « Je ne sais pas faire ! Et maintenant qu’est-ce-que je fais ? … »

 

Elle dispose d’une palette de couleurs primaires. Je lui propose un rouleau. Elle le met dans la peinture et elle le fait rouler de haut en bas. Ses gestes sont lents. Elle a besoin d’encouragements. 

A côté d’elle, Mme Lièvre fonce dans sa production tête baissée, elle semble totalement absorbée pendant tout le temps de la création. Elle a besoin de se « jeter » dans sa peinture très vite. Puis une fois la feuille couverte, elle dit « Suis fatiguée, j’arrête ! »

Depuis 4 séances, elle commence à sa gauche en bleu puis va au rouge et orange sur le reste de la feuille, est-ce dans sa mémoire implicite, un point sur lequel elle s’appuie pour se retrouver. Un jour, ces bandes bleues verticales sur la gauche de la feuille, avaient l’aspect de la mer, nous avons donné un quart de tour à la feuille. Cela modifiait le tableau, les flots des vagues en bas et un grand ciel orangé.

 

Mme Renard jette un regard sur la feuille de sa voisine et dit  « Venez voir ce que j’ai fait !  C’est bien ? »

C’est calme, On ne s’ennuie pas, Suis contente de moi !

Avec ces deux femmes, la communication verbale ne m’étant pas toujours facile ni satisfaisante, j’essaie l’abord corporel qui me permet d’entrer en contact chaleureux et de les apaiser. Je leur permets de poser leur tête sur mon épaule, je leur prends la main et elles apprécient ces rapprochements physiques.

 

Mme Renard est assez tactile. Elle s’essaie à des touches plus légères avec une éponge. Ensuite elle prendra un gros pinceau pour faire de grosses taches. Toujours de haut en bas avec beaucoup de régularité. Un jour nous avons tourné sa feuille, nous avions l’impression de voir un paysage à travers la fenêtre d’un train qui va à toute vitesse. 

 

 





Le 28 mai 2018

 

Mme Renard est régulière, elle est heureuse de venir chaque lundi matin, elle peint au rouleau. Elle débute toujours par un  « Qu’est-ce que je mets ? »

 

Elle avance prudemment comme si elle avait peur de faire un faux pas. Après un petit moment, elle débute avec du bleu qu’elle délaye et pose délicatement, la trace reste assez légère, puis elle complète avec des tâches orange. Son œil est dirigé vers sa vie intérieure, l’expression de son regard, son attitude corporelle me traduisent sa vie intérieure. Elle accède à la détente qui suit la libération de l’acte de peindre. Par moment, une ambiance quasi silencieuse envahit l’atelier. Meilleure condition pour que chacun dans le groupe puisse être en accord avec sa résonance interne. Le silence s’impose lorsque chacun s’absorbe seul à seul dans sa peinture.

 

Elle est satisfaite de ce qu’elle fait. Elle aime ces couleurs-là.

Elle dit « Suis contente de voir une fois par mois, ça me change ! Suis contente de moi ! »

 

Aujourd’hui, un nouveau monsieur a rejoint le groupe. Mme Renard est attentive aux autres, à leur comportement. Mr Hérisson lui fait toujours peur, elle nous rapporte les signes qu’il continue de lui faire et il n’en faut pas beaucoup pour qu’elle se mette en colère et s’agite contre lui. Elle s’inquiète de ce que sa voisine, Mme Lièvre a peint, un lien s’est construit avec elle au fil des séances.  

 

Elle prend du plaisir à venir à cet atelier. Je sens que ma présence à côté d’elle, la rassure. Je suis là pour l’encourager à continuer. Le regard que je porte sur sa production la stimule pour continuer.

 

La musique aujourd’hui nous emmenait dans de vastes étendus, c’est un CD dit de méditation, de musique calme. Les neurosciences reconnaissent les bienfaits de la musique sur notre cerveau. Le groupe est enveloppé par celle-ci.

 

L’enthousiasme de Mme Renard est un moteur pour le groupe. Le temps d’échange, d’impressions, de sentiments reprend après que la dernière personne ait fini de peindre. 

 

* Noms d'emprunt