Cas clinique 2


Photo de Jenna S (Unsplash)
Photo de Jenna S (Unsplash)

Voici un résumé d'un 2ème cas clinique réalisé dans une  structure EHPAD (Rhône)


L’art-thérapeute dispose les chevalets en rond au milieu de la pièce. Elle pose les assiettes avec les couleurs primaires sur une chaise à côté de la place chaque participant. Chacun aura le choix de ses outils : éponges, pinceaux, rouleaux.  

 

Dans le rituel de mise en route de l’atelier, la musique est là pour les accueillir. Notre choix se porte sur une musique douce. Elle a une fonction contenante. La trace sonore est l’une des plus archaïques, la première étant la voix de la mère ainsi que le bercement par la marche.

Elle a une résonance affective. Certaines musiques induisent des états de conscience proche du rêve, elles mobilisent les forces du psychisme par l’éveil de la créativité. Les sons, mélodies, rythmes et silences ouvrent les canaux de la communication non-verbale. Le corps humain y participe avec ses bâillements, sa respiration, ses grognements et ses cris.

 

Nous allons dans les différents services à la recherche des résidents qui participent à l’atelier. Ils seront 6 ou 7. Certains viennent en fauteuil et d’autres sont encore assez mobiles pour venir sans aide.

 

L’art-thérapeute accroche une feuille blanche sur la planche de chacun.  Elle leur propose de se protéger avec un tablier blanc en plastique. Ils se laissent faire. Ils sont équipés pour partir dans leur monde imaginaire.  Ce tablier les fait entrer dans une autre peau, leur peau d’artiste. 

 

L’art-thérapeute, apporte sa présence physique. Sa voix et son regard porte la séance. C’est l’attention du thérapeute qui les invite à entrer dans cet espace protégé où personne n’interviendra. Son regard suscite la « mise en marche », une attention flottante, qui soutient et accepte ce qui va se passer. Je le rapprocherai du regard de la mère sur son nourrisson, « la mère suffisamment bonne » de Winnicott.

 

 

La position de thérapeute est d’accueil et d’ouverture. Elle est psychiquement disponible et à l’écoute. Elle reçoit sans jugement, sans tri, elle est concentrée sur la personne qui joue, crée et valorise son travail et son évolution. Elle encourage le processus de symbolisation.

 


Monsieur Tulipe* est en fauteuil roulant. Il s’aide de ses bras et un peu de son pied, le droit est mal en point. Il devait subir une opération et comme il n’en est rien, il s’en trouve soulagé. Il a déjà passé 5 mois, d’octobre à mi-mars à l’hôpital à cause de l’infection de sa prothèse de hanche. Vous comprendrez son inquiétude.

 

Mr Tulipe est de bonne humeur, il est content de venir. Je lui serre la main et lui indique la place qui lui revient. Il s’approche de son chevalet sans hésiter. Il me fait signe pour me demander le tablier. Ce tablier le protège pour ne pas se salir mais c’est aussi comme une peau dans laquelle il se met pour partir en un espace différent. Il accepte le tablier baisse sa tête pour que je lui passe et il se met en avant pour que je lui noue à la taille.

Je lui apporte sa palette de peinture que je pose sur une chaise à sa droite car il est droitier. Il choisit son pinceau dans la grosse boite où nous rangeons tous les pinceaux. Très rapidement il part dans son monde que l’on pourrait qualifier d’enfantin à tort.

Je l’aide à trouver une position confortable. Il a le désir de peindre. Il entre dans son espace de création immédiatement. L’assiette pleine des couleurs primaire jaune, rouge et bleu, repose à sa droite sur une chaise avec un petit récipient d’eau et un chiffon.  Il choisit un pinceau pas trop gros. Son pinceau danse rapidement sur la feuille.  Du jaune pour dessiner un animal en haut à gauche de sa feuille. Ce pourrait être un chien jaune, du bleu pour un second et du rouge pour une tête et quatre membres. Il aime les couleurs gais. Il peint comme s’il écrivait. En trois respirations, il a déjà raconté une ligne de sa production du jour. Il répète une tête plus bas à gauche et deux formes plus complexes au centre. Il semble refaire les mêmes gestes en rouge en bas à gauche et à droite.

 

Il répète la même chronicité : 1 / la tête 2 / figures 3 / les animaux 4 / les points comme pour symboliser des chemins. Ces points remplissent l’espace ce qui le fait vibrer.

Tout cela avec beaucoup de concentration, il ne lève pas la tête de sa peinture. En très peu de temps il a fini.

  

Depuis D.W. Winnicott (1975), nous savons combien l’aire de jeu, la capacité à jouer, constituent depuis l’aube de la vie et à tout âge un espace essentiel de créativité et de construction de l’individu. C’est dans cet espace intermédiaire à la fois réel, tangible et de l’ordre du « comme si », dans cet espace entre réalité et fiction, entre soi et l’autre, que chacun dispose d’une zone d’expérimentation, d’exploration, de découverte où il est possible de se mettre à l’épreuve sans danger.

 

Comme Monsieur Tulipe finit bien avant les autres et que l’atelier est un lieu ouvert qui lui donne la possibilité de sortir et de revenir, il va se promener et revient pour le temps de parole. Son temps de production est plus rapide que celui des autres. Il ne peut pas se concentrer plus longtemps.

Lorsque tout le monde a fini, nous alignons les productions de façon à ce que tous puissent les voir. Nous échangeons nos impressions avec pour règle de ne jamais parler négativement du travail de l’autre. Le groupe la respecte.

 

Est-ce que Mr Tulipe aime entendre à chaque fois ? « Comme c’est gai ces personnages ! »

Aimerait-il induire un sourire aux autres ?  Les autres participants sont séduits par l’ambiance de conte de ses dessins.

Mr Tulipe ne parle pas beaucoup cependant je le sens bien présent et il écoute parfaitement.

 

Ce temps de parole permet de valoriser leurs productions et leur estime d’eux-mêmes. C’est un espace-temps pour développer des liens entre eux. Lorsque nous découvrons tous ces travaux ensemble à la fin de la séance, c’est chaque fois une agréable surprise de découvrir leur multiplicité et leur richesse.  Ils constatent qu’ensemble ils peuvent faire de belles choses et qu’ils sont capables d’apporter une réjouissance aux autres. Ce moment privilégié leur permet de se porter un autre regard.

 

Leurs travaux sont ensuite mis dans des sous-verres et accrochés aux murs. Le voisin de chambres, les familles et les visiteurs peuvent les admirer.  L’institution et la société en général pourront changer leur regard grâce à cet atelier.

 

Aujourd’hui, je raccompagne Mr Tulipe au restaurant, il est le seul fauteuil roulant à une table de quatre personnes.  Une dame a l’habitude d’être à côté de lui. Cette dame est malvoyante et il lui a longtemps servit d’accompagnateur. Elle s’était beaucoup inquiétée quand il était à l’hôpital. Elle pousse son fauteuil et lui sert de guide. C’est une collaboration.

 

Je leur parle de sa peinture. Je leur dis que j’ai vu des petits chiens dans ses peintures. Je lui confie que j’ai moi-même un petit caniche qui est âgé, qu’il est malade du cœur et que j’ai peur de le voir mourir. C’est là, qu’il me parle de son chien qui était âgé aussi. Cela se passait chez lui, lorsque des enfants se sont amusés avec son chien en dehors de sa vigilance. Ils ont transpercé la bête avec des pics en bois de part et d’autre. Mr Tulipe raconte qu’il a pris sa voiture pour aller chez le vétérinaire. Son chien souffrait ellement qu’il a dû le faire piquer. J’ai ressenti qu’il avait encore de la peine et il ajoute : "en plus - j’ai payé pour ça - comme double peine". Que cela soit exact ou pas (mais je pense que oui) cela reste gravé dans la psyché de ce Monsieur. Il semble gai malgré cette histoire.

 

Cet épisode me montre que j’ai fait une projection de ma propre histoire sur son dessin. Je vois des petits chiens alors que ce sont des animaux. Dans une séance ultérieure, le 15 mai, il sera très heureux de dire : "j'ai peint tous les animaux". 

 

* nom d'emprunt